Aujourd'hui, lundi, paraît un article d'Antoine Hasbroucq, chroniqueur sur MSN Actualités. Nous reproduisons ici, textuellement, sa chronique, qui porte sur le questionnement qu'on peut avoir concernant les manifestations, la F1 et les arrestations du week-end. Voici l'article:
,«500 connards sur la ligne de départ» chantait Renaud au sujet du Paris-Dakar,
malheureusement le chansonnier a oublié de parler de F1. Malgré une introduction
un peu abrupte, Je n'ai rien contre le sport, et donc le pur divertissement, le
plus polluant du monde, rien non plus contre ceux qui l'aiment. Mais durant
toute la fin de semaine, le mélange de célébrations de tous les symboles d'un
certain mode de vie face à ceux qui demandent un changement de société m'a donné
un goût étrange.
Alors que la page du Grand Prix vient de se tourner sur le circuit
Gilles-Villeneuve, le cirque pétaradant mondial est en train de faire ses
valises pour aller vrombir à sa prochaine étape. Crescent va voir le niveau
d'alcoolémie moyen au pied carré baisser, jusqu'à un certain palier toutefois,
tout comme la concentration de silicone. Les prostituées regagneront les
provinces, les photographes amateurs s'exciteront en classant les jpegs de
carrosseries rutilantes. Dans le contexte si particulier de cette année, il sera
alors temps de faire les comptes et de voir si les dizaines de millions de
dollars injectaient chaque année dans l'économie québécoise ont bien été
engrangés. Vrai ou pas, en maquillant suffisamment les chiffres, il sera alors
facile de dire que le manque à gagner est énorme et que les responsables sont
tout trouvés, maudits étudiants, maudits manifestants qui ont fait peur aux
partisans. Il serait alors facile de communiquer largement sur le sujet et
manipuler un peu plus encore l'opinion publique molle : «Ben voyons, non
seulement ça veut pas payer plus cher ses études mais ça empêche le brave monde
de gagner son cash. » Révoltant, non?
Mais la bonne nouvelle est peut-être là, à portée de main. Dans une
compétition mondiale féroce, où chaque pays veut son Grand Prix, le grand
argentier de la F1, Bernie Ecclestone, pourrait décider de retirer Montréal de
son calendrier pour aller voir ailleurs, on peut rêver. Même si l'on annonce que
le renouvellement du contrat jusqu'en 2024 est en bonne voie. Parce que Bernie,
c'est comme ça qu'il est. Il jauge, il estime, il réfléchit et rien n'est sûr.
Il suffit qu'une autre ville, qu'une autre nation, n'importe laquelle, propose
de grosses subventions pour accueillir les bolides, et sa balance peut alors
pencher. Chez Bernie, comme ces «chez gens-là » de Brel, «on ne cause pas, on
compte». Bernie, avare comme pas deux en entrevue, se contrefoutait déjà de la
révolution en cours au Bahreïn il y a quelques mois, quand il a fait tourner ses
chars au milieu de l'oppression, alors tu penses, la loi 78. Mais si les
chiffres sont moins bons, si les subventions sont plus grosses ailleurs, si un
grain de sable est venu gripper la mécanique...
Beaucoup moins avare de mots, Jacques Villeneuve n'a, quant à lui, pas hésité
à s'exprimer, tout en subtilité, livrant une analyse fine de la situation, de
ses enjeux de culture, d'identité, de politique, et plus largement de modèles de
société : «les étudiants n'ont qu'à retourner en classe », livrait-il en
substance. Que les choses soient claires, cette opinion en vaut d'autres et il a
parfaitement le droit de l'exprimer. Seulement cette idée pouvait être audible
il y a 6 semaines, il y a deux mois. Que dire aux personnes de 30, 40, 50, 60
ans et plus que l'on peut croiser régulièrement dans les manifestations,
casserole à la main? Qu'ils retournent en classe aussi. Le débat a pris, à tort
ou à raison, des dimensions bien plus larges que ça, s'il est minimisé autant
que possible, c'est à dessein. «Non il ne s'agit pas d'un mouvement de toute une
partie de la société, simplement un party d'étudiants mal élevés.»
Voilà le message qu'il faut à tout prix marteler.
Mais la partie la plus surprenante des déclarations de l'ancien pilote de F1
est arrivée le lendemain de ces premières paroles. Après avoir reçu des menaces,
il n'hésite pas parler de «terrorisme», un mot compréhensible sous l'effet de
l'émotion, s'il visait l'auteur de ces mêmes menaces. Sauf que... Jacques
Villeneuve qualifiait ainsi tous ceux qui de près, ou de loin, pouvaient nuire
aux intérêts du Grand Prix. Des manifestants, souhaitant se faire entendre en
profitant de la venue des caméras du monde entier, des terroristes. J'ai d'abord
commencé par sourire. Dans le contexte que nous connaissons, le sens de la
mesure a souvent été abandonné, peu importe les opinions exprimées. Mais lorsque
le lendemain, le SPVM s'est livré à des «arrestations préventives », j'ai
beaucoup moins ri. Pour protéger des intérêts privés, une police d'État s'est
livrée à l'arrestation de personnes qui n'avaient commis aucun délit, les
retenant contre leur volonté et les privant de leur liberté de circulation dans
des espaces publics. Pour ne pas tomber dans l'excès, qualifions ça de, au
minimum, surprenant.
Avec le Grand Prix, et tout ce qui s'est produit en marge de l'événement, un
pas de plus a été franchi. Comme les spectateurs dans les tribunes, dimanche, on
ne peut qu'observer la course en avant, avec cette attente mêlée de crainte du
grand crash.
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