Le débat, c'est pour les faibles
Entre Jean Charest qui casse du sucre sur le dos de
tous ceux qui ne partagent pas ses « valeurs » et Stephen Harper qui n’en finit plus de ne pas
s’enfarger dans les fleurs du tapis, qu’il est beau notre pays par les temps qui
courent.
Car ils courent, les temps. Pas de doute. En tassant du revers de la main pas
moins de 871 amendements d’un seul coup, jeudi, le gouvernement majoritaire à
Ottawa a montré son empressement à en finir avec une opposition aussi inutile
qu’impuissante.
Le vote avait lieu dans le cadre de l’adoption du
projet de loi omnibus C-38, un texte de 400 pages qui modifie de fond en comble
l’organisation du pouvoir dans la capitale. Rien de moins. Et rien de neuf,
comme en font foi les 20 lois passées sous bâillon depuis l’obtention de leur
majorité par les conservateurs, il y a 13 mois. Ils sont pressés, ces
politiciens de l’Ouest. Et rien ne saura les freiner dans leur makeover
du Canada.
« Ce gouvernement n'aime pas particulièrement les
périodes de questions, a lancé le leader du Nouveau Parti démocratique en
Chambre, Nathan Cullen, après le vote. Ça a quelque chose à voir avec
l'idée de devoir rendre des comptes. » Sa déclaration venait après que
l’opposition se soit vue refuser la tenue d'une période de questions en
après-midi, histoire de prendre une pause dans le processus de vote – les 871
amendements étaient regroupés sous 159 items à voter.
L’idée de rendre des comptes est décidément démodée
dans cette décennie qui commence à peine. Au Québec, Jacques Duchesneau s’est
fendu le cul en quatre pour pondre une bombe de rapport avec les moyens du bord.
Lorsque l’ex-chef de police de Montréal a présenté un exemplaire de son travail
au ministre Sam Hamad, ce dernier a littéralement détourné la tête. « Il n'a pas
voulu mettre ses empreintes digitales dessus », a blagué Duchesneau devant la juge Charbonneau, jeudi.
À Ottawa, la simple idée de débattre semble donner
des maux de ventre aux conservateurs. À quoi bon le faire quand le gouvernement
détient la majorité des votes en Chambre, là où règne une discipline de parti
digne des plus belles plantes vertes. « La McDonalisation du parlementarisme,
est-ce que c'est voter sans débattre? » se demandait jeudi le journaliste Pierre
Duchesne, celui qui après 25 ans de service s’est récemment fait montrer la
porte de Radio-Canada.
La McDonalisation du parlementarisme. Alors qu’on parle beaucoup de
démocratie ces temps-ci, l’image est lourde de sens. Il y a quelque chose de
triste à voir un vieux routier comme Pierre Duchesne comparer l’ultime lieu où
s’exprime la démocratie au temple du fast-food. Tel un ado qui flip des
burgers, un député fédéral, en 2012, a la marge de manœuvre d’un drone. Il n’est
désormais plus question de collaborer dans l’élaboration des lois. Il faut
plutôt produire 10 burgers préfabriqués par minute et hop, au suivant. Au plus
fort la poche, et merci bonsoir.
Au lendemain de l’élection du 2 mai 2011, feu Jack
Layton avait fait preuve d’un certain réalisme devant la majorité conservatrice
fraîchement acquise. « On peut influencer les décisions d'un gouvernement, en
travaillant avec les gens partout au Canada pour la création d'une opinion
publique pour ou contre telle ou telle mesure. C'est comme ça que ça fonctionne
», avait-il déclaré, avouant implicitement que le pouvoir de l’opposition
ne résidait plus en Chambre.
Si, comme le pensait M. Layton, il revient aux citoyens mobilisés de négocier
avec le gouvernement, ce qui se passe actuellement au Québec donne froid dans le
dos. Le conservateur converti en libéral qu’est Jean Charest y utilise une
rhétorique manichéenne qui attise peur et violence. Les forces de l’ordre y
agissent en toute impunité, sous le couvert d’un « discernement » factice. Le
langage y est une arme redoutable où les termes « radical » et « violence » sont
des couteaux affinés. Et on y porte atteinte aux droits fondamentaux grâce à une
loi passée sous bâillon.Mais Jean Charest n’est pas Stephen Harper. Le premier est un politicien usé en fin de règne qui s’accroche à ses chances de réélection comme une femme battue s’accroche à son bourreau. Le second est un fin renard qui prend les devants et ne laisse aucune chance à un « conflit social » de prendre racine. Charest est brouillon, Harper est en mission.
Jack Layton a sommé les Canadiens de se mobiliser,
mais c’était sans compter sur la précision chirurgicale des tactiques
conservatrices. Les Canadiens sont constamment pris de vitesse devant un
processus législatif fort complexe. Seule Élizabeth May a réussi à entamer
l’armure des troupes de Harper avec sa savante contestation auprès du président
de la Chambre de la validité du projet de loi C-38. « Seule, sans l’aide
d’experts en procédure, elle a épluché les décisions passées des présidents pour
en arriver à la conclusion que le projet de loi ne respecte pas les critères
établis pour un projet de loi omnibus, écrivait la chroniqueuse du
Devoir, Manon Cornellier, le 6 juin. Elle a ouvert une porte qu’aucun
des autres parlementaires, certains beaucoup plus expérimentés qu’elle, n’avait
vue. »
Si c’est ce qu’il faut pour se battre avec les
conservateurs, cela n’augure rien de bon pour d’hypothétiques citoyens mobilisés
contre les projets du gouvernement. Surtout que le président de la Chambre des
communes, Andrew Scheer, a jugé que C-38 respectait les procédures. Espérons seulement que si
d’aventure un tel groupe se formait pour rivaliser avec Ottawa, on ne
l’écraserait pas avec une loi inspirée de l’infâme « Loi permettant aux
étudiants de recevoir l’enseignement dispensé par les établissements de niveau
postsecondaire qu'ils fréquentent ».
Crédit photo: Sean Kilpatrick/La Presse Canadienne - le premier ministre
du Canada, Stephen Harper au centre, à sa gauche, le ministre de l'Industrie,
Christian Paradis, et à droite, Peter Van Loan, leader du gouvernement à la
Chambre
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