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samedi 16 juin 2012

Un billet de Julien MacEvoy de MSN Actualités...

Le débat, c'est pour les faibles


Par Julien McEvoy
Harp12

Entre Jean Charest qui casse du sucre sur le dos de tous ceux qui ne partagent pas ses « valeurs » et Stephen Harper qui n’en finit plus de ne pas s’enfarger dans les fleurs du tapis, qu’il est beau notre pays par les temps qui courent.
Car ils courent, les temps. Pas de doute. En tassant du revers de la main pas moins de 871 amendements d’un seul coup, jeudi, le gouvernement majoritaire à Ottawa a montré son empressement à en finir avec une opposition aussi inutile qu’impuissante.
Le vote avait lieu dans le cadre de l’adoption du projet de loi omnibus C-38, un texte de 400 pages qui modifie de fond en comble l’organisation du pouvoir dans la capitale. Rien de moins. Et rien de neuf, comme en font foi les 20 lois passées sous bâillon depuis l’obtention de leur majorité par les conservateurs, il y a 13 mois. Ils sont pressés, ces politiciens de l’Ouest. Et rien ne saura les freiner dans leur makeover du Canada.
« Ce gouvernement n'aime pas particulièrement les périodes de questions, a lancé le leader du Nouveau Parti démocratique en Chambre, Nathan Cullen, après le vote. Ça a quelque chose à voir avec l'idée de devoir rendre des comptes. » Sa déclaration venait après que l’opposition se soit vue refuser la tenue d'une période de questions en après-midi, histoire de prendre une pause dans le processus de vote – les 871 amendements étaient regroupés sous 159 items à voter.
L’idée de rendre des comptes est décidément démodée dans cette décennie qui commence à peine. Au Québec, Jacques Duchesneau s’est fendu le cul en quatre pour pondre une bombe de rapport avec les moyens du bord. Lorsque l’ex-chef de police de Montréal a présenté un exemplaire de son travail au ministre Sam Hamad, ce dernier a littéralement détourné la tête. « Il n'a pas voulu mettre ses empreintes digitales dessus », a blagué Duchesneau devant la juge Charbonneau, jeudi.
À Ottawa, la simple idée de débattre semble donner des maux de ventre aux conservateurs. À quoi bon le faire quand le gouvernement détient la majorité des votes en Chambre, là où règne une discipline de parti digne des plus belles plantes vertes. « La McDonalisation du parlementarisme, est-ce que c'est voter sans débattre? » se demandait jeudi le journaliste Pierre Duchesne, celui qui après 25 ans de service s’est récemment fait montrer la porte de Radio-Canada.
La McDonalisation du parlementarisme. Alors qu’on parle beaucoup de démocratie ces temps-ci, l’image est lourde de sens. Il y a quelque chose de triste à voir un vieux routier comme Pierre Duchesne comparer l’ultime lieu où s’exprime la démocratie au temple du fast-food. Tel un ado qui flip des burgers, un député fédéral, en 2012, a la marge de manœuvre d’un drone. Il n’est désormais plus question de collaborer dans l’élaboration des lois. Il faut plutôt produire 10 burgers préfabriqués par minute et hop, au suivant. Au plus fort la poche, et merci bonsoir.
Au lendemain de l’élection du 2 mai 2011, feu Jack Layton avait fait preuve d’un certain réalisme devant la majorité conservatrice fraîchement acquise. « On peut influencer les décisions d'un gouvernement, en travaillant avec les gens partout au Canada pour la création d'une opinion publique pour ou contre telle ou telle mesure. C'est comme ça que ça fonctionne », avait-il déclaré, avouant implicitement que le pouvoir de l’opposition ne résidait plus en Chambre.
Si, comme le pensait M. Layton, il revient aux citoyens mobilisés de négocier avec le gouvernement, ce qui se passe actuellement au Québec donne froid dans le dos. Le conservateur converti en libéral qu’est Jean Charest y utilise une rhétorique manichéenne qui attise peur et violence. Les forces de l’ordre y agissent en toute impunité, sous le couvert d’un « discernement » factice. Le langage y est une arme redoutable où les termes « radical » et « violence » sont des couteaux affinés. Et on y porte atteinte aux droits fondamentaux grâce à une loi passée sous bâillon.
Mais Jean Charest n’est pas Stephen Harper. Le premier est un politicien usé en fin de règne qui s’accroche à ses chances de réélection comme une femme battue s’accroche à son bourreau. Le second est un fin renard qui prend les devants et ne laisse aucune chance à un « conflit social » de prendre racine. Charest est brouillon, Harper est en mission.
Jack Layton a sommé les Canadiens de se mobiliser, mais c’était sans compter sur la précision chirurgicale des tactiques conservatrices. Les Canadiens sont constamment pris de vitesse devant un processus législatif fort complexe. Seule Élizabeth May a réussi à entamer l’armure des troupes de Harper avec sa savante contestation auprès du président de la Chambre de la validité du projet de loi C-38. « Seule, sans l’aide d’experts en procédure, elle a épluché les décisions passées des présidents pour en arriver à la conclusion que le projet de loi ne respecte pas les critères établis pour un projet de loi omnibus, écrivait la chroniqueuse du Devoir, Manon Cornellier, le 6 juin. Elle a ouvert une porte qu’aucun des autres parlementaires, certains beaucoup plus expérimentés qu’elle, n’avait vue. »
Si c’est ce qu’il faut pour se battre avec les conservateurs, cela n’augure rien de bon pour d’hypothétiques citoyens mobilisés contre les projets du gouvernement. Surtout que le président de la Chambre des communes, Andrew Scheer, a jugé que C-38 respectait les procédures. Espérons seulement que si d’aventure un tel groupe se formait pour rivaliser avec Ottawa, on ne l’écraserait pas avec une loi inspirée de l’infâme « Loi permettant aux étudiants de recevoir l’enseignement dispensé par les établissements de niveau postsecondaire qu'ils fréquentent ».
Crédit photo: Sean Kilpatrick/La Presse Canadienne - le premier ministre du Canada, Stephen Harper au centre, à sa gauche, le ministre de l'Industrie, Christian Paradis, et à droite, Peter Van Loan, leader du gouvernement à la Chambre

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